mercredi 27 janvier 2016

Un envol de valises par Daniel Dezeuze

Des valises rassemblées... pour partir? pour nous emmener? ou pour retenir notre regard, notre curiosité de visiteur? Des valises à regarder sans les remplir, sans doute: elles sont transparentes et colorées. Surfaces d'inscriptions, surfaces de projections. A moins de les remplir d'idées, de pensées...


D'ailleurs celui qui les a transformées en objets d'art n'en manque pas à leur sujet. On peut l'entendre sur internet, notamment à partir du site de la galerie Templon à Paris qui expose son oeuvre jusqu'au 20 Février 2016.


Elles ne m'ont d'abord rien dit, ces valises... Quelle idée, quand-même, d'aller les "peindre"? Enfin, peindre... ce n'est pas vraiment cela! Ou plutôt, si, justement! L'artiste a peint par-dessus.


Celui qui les a créées est un des fondateurs du groupe "Support-surface", Daniel Dezeuze. Il continue ici son exploration des matières et des supports en transformant les rapports entre fond et forme, en inversant nos représentations du plein et du vide, du dehors et du dedans, du contenant et du contenu. Ces renversements-retournements sont toujours dérangeants psychiquement mais porteurs d'ouvertures imprévisibles... J'en ai fait et partagé l'expérience dans mon livre Rue Freud notamment.



Alors, que faire de ces petites voyageuses, quand on les regarde, et de leur légèreté d'oiseaux migrateurs, associée à celle des papillons exposés avec elles dans la galerie? Les animer d'associations d'idées, peut-être...


Oui, le voyage, le déplacement, la découverte, l'envol... Mais aussi les déportations, les exils, les migrants qui de nos jours, arrivent souvent sans rien, ou en tout cas, plutôt avec des sacs que des valises, de ces sacs inusables qui rappellent les magasins Tati du quartier de Barbès-Rochechouart à Paris....


Elles ont vécu, ces valises, fatiguées, sans doute, mais enrichies par l'assaut des couleurs, aussi. Comme ces anciennes toiles de peintres ou leurs chevalets, porteurs de traces de multiples créations antérieures. Objets chargés d'histoire. Mais ces marcheuses de Daniel Dezeuze, organisées en vaillante petite troupe, ont un air clopinant, tout de même; elles ne sont pas seulement posées, elles semblent peiner à avancer alors qu'elles ne contiennent aucun chargement! Mais oui, elles boîtent!


D'ailleurs, il semble que l'artiste les déplace parfois et transforme ainsi leur impact dans l'espace. En effet le carton proposé aux visiteurs de la galerie les montre disposées différemment (ci-contre), comme arrêtées dans leur course par le mur... Comme interdites, maintenant rangées, au garde à vous, ou mises au coin. Tout à coup m'apparaissent les bouteilles de Giorgio Morandi, rassemblées comme une armée face au regardeur...


La promesse de ces valises peut inviter au meilleur ou au pire... Le hasard a fait que travaillant sur la guerre d'Algérie mais happée aussi par l'actualité de l'art de la caricature, je suis tombée sur un article du "Nouvel Observateur" du 25-27 Octobre 2004 consacré à cette guerre, évoquant le futur caricaturiste Cabu appelé en Algérie. Il y exerce alors son art dans le journal de l'armée "Bled".



Et voilà que j'y retrouve des valises assemblées sans porteur, déposées, face à un vieux gradé bedonnant qui, par-dessus elles, tend la main au nouvel arrivant, chargé, lui aussi, d'une valise. Là encore, les vides parlent, et l'alignement militaire aussi... Que s'est-il déposé là? Qu'est-ce-que ces dépôts ont pu générer en nous, héritiers de ceux qui ont fait cette guerre, et à travers elle, toutes les les guerres?


Les valises se chargent de l'Histoire, désormais, au fil de mes associations. Peut-être le sont-elles, l'ont-elles été pour Daniel Dezeuze également? L'artiste a bien créé des arbalètes, des boucliers et d'autres objets de combat. Quoi qu'il en soit, si ces valises ne m'ont pas immédiatement parlé, elles m'ont surprise, puis ont fait leur voyage en moi, à mon insu, ce qui m'a invitée à venir les revoir. Un voyage d'abord intellectuel mais qui, dans un second temps, a libéré en moi un mouvement associatif, familier dans l'expérience psychanalytique, et qui permet l'intégration de nos capacités intellectuelles, sensibles, émotionnelles, mémorielles.
  





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