jeudi 10 septembre 2015

"Histoire d'Irène" d'Erri De Luca

Dans Histoire d'Irène, Erri De Luca distille de petites merveilles d'écriture avec une incroyable fluidité qui donne de la joie. Pas de clivage entre le corps, la nature, l'histoire, la politique, la langue, les textes, la culture. Une liberté de mouvement qu'incarne aussi son personnage d'Irène. Une écoute de la respiration du corps, de l'autre, du monde.


 J'y ai trouvé, entre autres, de magnifiques variations sur la vie des sens, telle qu'elle peut habiter les humains mais aussi telle que nous apparait celle des animaux, si nous acceptons de nous y rendre réceptifs. 


J'y ai lu des mélodies sur les corps, les dos, la verticalité de nos gestes et leur horizontalité, ceux qui s'accrochent à la terre ou au corps maternel, et ceux qui se laissent emmener dans une fluidité liquide.


Et j'y ai éprouvé les fulgurances de nos renversements au-devant et en arrière qui ouvrent encore d'autres horizons sur la femme de Loth et les thématiques tissées autour d'elle. Décidément, elle ne cesse de changer de forme et de matière, de se "désempierrer", cette femme de Loth!


Ainsi, je n'avais jamais pensé que "le rameur" est une figure exemplaire des interrogations sur le mouvement de regarder devant ou derrière soi en avançant: en effet il tourne le dos à sa direction et reste orienté sur ce qu'il quitte.



Cela donne quelque chose comme un poème chez Erri De Luca: "Le rythme des rames et des poumons rappelait au sous-lieutenant le pas des marches en montée. Il se voûtait comme sous son sac à dos, mais la position du rameur sur un bateau qui avance en regardant en arrière est plus belle et plus étrange. Le dos tourné vers l'arrivée ne permettait pas d'évaluer l'approche. Il ponctuait bien en revanche la distance depuis la terre ferme prisonnière. Il souriait de la voir s'effacer dans le noir en même temps que les mille deux cents jours de guerre." (p 100, Histoire d'Irène, Gallimard 2013). 
 

La montagne, la mer, le corps, l'Histoire, la résistance... La transformation d'un héritage par le travail de la langue, la fabrique des histoires, la réceptivité à ce qui fait naître une écriture...


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