samedi 5 mai 2018

Au présent d'Anselm Kiefer



Für Andrea Emo 2015-20017
L’espace grandiose de la galerie Thaddaeus Ropac à Pantin en banlieue parisienne offre à nouveau aux visiteurs l’occasion de se rendre réceptifs à une grande œuvre, celle d’Anselm Kiefer.

Avant même d’avoir encore pénétré dans les différentes salles, les tableaux vous happent de loin, alors que vous ne faites encore que les apercevoir. Ils construisent déjà l’espace de la rencontre entre eux et vous: un espace vierge et pourtant déjà tout habité de l’œuvre à peine entraperçue.

L’entrée dans ce lieu invite celui qui pénètre à un ralentissement de son propre rythme, de sa marche, de sa respiration, de sa parole, même. Les visiteurs chuchotent plus qu’ils ne parlent et restent le plus souvent seuls devant ces immenses œuvres, même s’ils sont venus accompagnés.

Au moment où l'on sent son corps se dilater aux dimensions des tableaux, il faut tenter de se rendre réceptif pour un temps de silence intérieur prêt à accueillir des vagues de bouleversement intime, d’émotion, de douleur, d’émerveillement. Il m’a semblé important de ne pas vouloir chercher d’emblée à comprendre l'oeuvre même si beaucoup de choses sont écrites à son sujet et même parlées par l’artiste lui-même; plutôt laisser entrer en soi tout un monde, tout un rapport à l’espace qui offre un accès à un voyage temporel. 

La possibilité de se laisser gagner par l’espace-temps de l’oeuvre d’Anselm Kiefer est magnifiquement offerte dans ce lieu hors normes, hors de Paris, auquel on peut même accéder par le canal de l’Ourcq, à pied, en vélo, en bateau... On peut déjà se déplacer, symboliquement et avec tout son corps pour atteindre cet espace. Hélas les photos que je joins à cet article ne permettent absolument pas de sentir le mouvement des oeuvres. Mais l'affiche-même de l'exposition est beaucoup moins prenante que le tableau lui-même, semble toute plate quand on a vu l'original. 

Dans ces derniers tableaux, Anselm Kiefer reprend des œuvres anciennes et les transforme. Elles prennent ainsi une épaisseur singulière, faite de surimpressions, d’effets de transparence, d’effacements et de recouvrements ; toute une architecture qui sculpte l’espace de la toile et qui met à l’œuvre la capacité de l’artiste à faire accéder le regardeur au geste créateur lui-même, comme s'il s'accomplissait devant lui. 

Under der Linden an der Heide, 1987-2017
Les traces, les épaisseurs prennent corps alors qu’une partie du tableau semble même avoir été rageusement rejetée par l'artiste, maltraitée. Comme s'il y avait projeté son tourment, peut-être un tourment temporel. Comme s'il avait cherché à rassembler dans chaque tableau une appréhension du temps où seraient présents simultanément passé, présent et futur. Et cela donne le vertige...

L’artiste lui-même  commente son travail fait à partir du philosophe italien Andrea Emo avec un vocabulaire d’abolition de soi et de renaissance. Et s’il y a de la destruction à l’œuvre, le regardeur n’est pourtant pas embarqué dans un mouvement mortifère. C’est même plutôt une profusion créatrice qui se manifeste devant lui, en offrant la possibilité d’un souffle, d’une respiration, d’une ouverture salvatrice aux dimensions de l’infini.         


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