mercredi 12 février 2014

Garouste aux mille et un visages

"Le théâtre de Don Quichotte"
En voilà un que la mythologie inspire ainsi que les figures de la Bible, du Talmud, qu'il traverse sans vergogne avec les fables de La Fontaine ou des albums de Tintin. Ces figures entre animalité et humanité, entre monstres et anges, se lient et se délient en une danse colorée  d'où se détache parfois la figure du peintre, Gérard Garouste.


Dans l'actuelle exposition de la galerie Templon à Paris, intitulée "Contes ineffables", on rencontre des titres de tableaux suggestifs comme "Le lièvre et la tortue à l'envers", "Le héron au long bec emmanché d'un long cou", "La huitième boule de cristal", "L'amazone et la licorne" ... Jeux de rencontres avec les textes et entre les textes, aussi bien figurés que nommés. Mais pas de contes proprement dits, ni d'ineffable non plus... Plutôt une audace figurative prise dans les textes et chargée de références figurées en associations libres.

Je n'ai pas trouvé ici de femme de Loth, non. Pourtant une œuvre m'a obligée, elle aussi, à revenir une deuxième fois voir l'exposition. Y revenir, oui. Je pense à cette phrase d'une femme qui me dit sur le divan "Je n'aime pas revenir sur les choses". Il me semble, quant à moi, que si je ne revenais pas, bien des choses se perdraient pour moi dans une confusion intérieure, bien des choses  perdraient leur capacité de résonances multiples.

Cette œuvre, qui m'a arrêtée puis fait revenir, est  un Don Quichotte en bronze présenté en retrait, presque dans un coin mais magnifiquement éclairé. A cause de lui, comme avec la femme de Loth de Rodin, il m'a fallu revenir. Revenir le voir une seconde fois car il avait semé le trouble dans mon esprit. Pourquoi Garouste en avait-il fait un visage à deux faces?  Certes, Quichotte ne se pense pas sans Sancho Pança. Et l'on pourrait bien voir sur l'une des faces une grimace goguenarde à la façon du valet. Mais alors pourquoi Sancho plutôt que Rossinante? Il faudrait bien trois faces!


Don Quichotte et les livres brûlés
Je reviens donc deux semaines plus tard à la galerie Templon. Cette fois-ci à cette heure creuse, pas plus d'un ou deux visiteurs. Je peux voir les œuvres de près, de loin, ensemble, séparément et en tournant autour... Je réalise qu'il y en a plusieurs sur Don Quichotte: deux tableaux, "Don Quichotte et les livres brûlés", ci-contre, et "Le théâtre de Don Quichotte", ci-dessus.

Je retourne alors au bronze resté confus dans ma mémoire, ou plutôt, dont les effets m'étaient restés confus. Je l'observe mieux et je tourne et retourne autour  plusieurs fois pour m'assurer que je n'ai pas la berlue. En fait ils sont trois! Oui, il y a bien trois visages mais si bizarrement intriqués  qu'on pourrait n'en voir que deux comme le prétend un article de presse.


Voilà qu'en écrivant ces mots, je me dis que j'irai peut-être vérifier encore une fois... Car mes photos sont trompeuses. L'article de presse parle d'un Don Quichotte à deux têtes. Non, il n'y a qu'une tête mais bien trois faces! Voyez-vous bien celle-ci à  droite qui se cache entre les deux autres avec ses formes animalières, comme dans ces jeux d'enfants qui font jouer alternativement les figures et le fond? Voilà de quoi perdre pied en virant du un au trois, et en passant ou non par le deux. Impossible de ne pas aller d'un côté et de l'autre, et de se contenter d'un seul point de vue! Au risque d'un vertige et non d'une pétrification comme celle de la femme de Loth. Que cela soit rendu possible par Don Quichotte est sans doute un magnifique hommage que ne refuserait pas Cervantès! 























Relisant le livre de Gérard Garouste, "L'intranquille. Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou" (2009), écrit avec Judith Perrignon, je redécouvre qu'il s'explique aussi de son rapport à Don Quichotte: "Ce chevalier errant, fou de romans de chevalerie totalement démodés, se fiche d'être de son temps, il joue avec son époque, le passé, le présent, le déjà vu qui pourtant étonne, j'y ai reconnu mon défi à la peinture(...) Il cache des vérités profondes derrière la déraison et l'humour, il voit sa Dulcinée là où personne d'autre ne la voit, c'est la puissance du fou car l'amour est folie. Il est devenu mon allié, il m'a procuré une profonde jouissance."

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