jeudi 6 février 2014

Rodin et l'association libre


A la faveur d'une journée d'études consacrée à "Rodin lecteur de l'Antique", alors que se déroule au musée Rodin à Paris l'exposition "Rodin, la lumière de l'Antique", me voici replongée dans cette mouvance créatrice fascinante du sculpteur, qui m'avait arrêtée devant son aquarelle de "la femme de Loth" (Cf Rue Freud Troisième partie, "Danser avec la femme de Loth"). Cette fois-ci, pas de femme de Loth dans une pétrification jouissante, mais des variations sur le thème d'Orphée abordées par l'intervenante Evangelia Stead dans sa communication "Rodin et la mise en pièces d'Orphée".

Il nous est rappelé que les versions de ce mythe, comme de tout mythe, sont multiples et qu'il est loin de ne développer que l'épisode célèbre de l'effet mortifère potentiel du regard en arrière. Orphée en effet transgresse l'interdit de se retourner sur Eurydice en remontant des Enfers. Mais au fil des époques, certains autres aspects du mythe prennent alternativement le dessus et font l'objet de multiples variations, artistiques et poétiques. Ainsi à l'époque de Rodin et tout au long du XIXème siècle, c'est la mort d'Orphée qui est mise à l'honneur: notre héros ayant été tué par les ménades, et sa tête coupée, de nombreuses représentations montrent la tête d'Orphée posée sur sa lyre, en particulier dans les œuvres célèbres d'Odilon Redon et de Gustave Moreau.


Rodin connaissait ces différentes versions du mythe qui se déclinent dans des œuvres intitulées "Orphée et les furies", "La descente d'Orphée aux Enfers", "Les lamentations d'Orphée", "La mort d'Orphée". Avec ce mythe comme avec d'autres, il déploye sa capacité d'association libre, comme j'ai proposé de l'appeler.


En effet nous apprenons par une autre intervenante de cette journée, Pascale Picard, que Rodin avait bien deux façons de se nourrir des oeuvres antiques: s'il lisait des textes mythologiques ou issus de l'Antiquité, il associait directement graphiquement; s'il contemplait  ou étudiait des œuvres antiques, dont il était un collectionneur avisé, il prenait des notes précises avant de se laisser aller à sa création.


Il y a là tout un champ de réflexion possible sur nos façons de travailler, même en tant que psychanalystes, en jonglant  avec des approches tantôt directement liées à l'inconscient, tantôt relevant d'une logique de savoir et de théorisation scientifique. 


Rodin s'est souvent inspiré du thème de la pétrification en travaillant le mouvement même de l'immobilisation en cours. Le thème de la Méduse pétrificatrice est bien présent dans son oeuvre. Ce qui donne lieu à toutes sortes de variations sur le thème de l'effondrement, du mouvement qui se fige, de la chute ( Cf l'article de ce blog "De Gilgamesh à Sindbad le marin"). Et Orphée est également sculpté dans un effondrement mêlé d'angoisse, de fatigue, de tension et de félicité, évoquant une complexité de sentiments elle-même pouvant susciter l'effroi du spectateur, comme dans l'aquarelle de la femme de Loth.
Chemins incroyables de l'inconscient... En rentrant à mon cabinet après cette matinée passée au musée Rodin, j'entends une analysante commencer sa séance en disant: "Hier j'ai senti à nouveau en moi un mouvement de pétrification"! Et voilà qu'une continuité s'établissait à nouveau explicitement entre mes différents lieux d'élaboration et de pérégrination, supposés sans liens directs, selon un processus que j'ai tenté d'écrire dans Rue Freud à partir de différents exemples...


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