samedi 27 décembre 2014

L'Enfer de Fautrier 2

Dans mon premier article sur Fautrier, daté du 2 Décembre (avant-dernier article de ce blog), j'ai émis quelques questions et hypothèses quant aux échos suscités par son oeuvre, notamment par sa série des "Otages". Ces échos concernent, entre autres, la première des guerres auxquelles l'artiste a été confronté, celle de 1914-1918.


 
Hercule , 1925
Ils se sont fait entendre à travers mon travail sur les artistes dans la guerre mais aussi par des associations avec d'autres champs de recherche sur le trauma. Je n'affirme rien sur l'artiste mais ma réceptivité à son oeuvre ainsi que des textes sur sa biographie et sa production ont aiguisé mon attention aux symptômes de l'écriture.


En effet, quand des passages de textes de critiques ou d'historiens d'art ne semblent pas aller au-delà d'une répétition de ce qui s'est déjà écrit sur l'interprétation d'une oeuvre d'un artiste, cela peut être reçu comme un symptôme, au sens psychanalytique du terme. Qu'est-ce-que vient dire une répétition de ce type, comparable à un "copier-coller", non inscrit dans son nouveau contexte ? Et derrière cette question en apparaît une autre: peut-on vraiment ramener strictement une oeuvre à un événement particulier? Est-on obligé de s'en tenir là, même si l'artiste lui-même a pu valider cette explication?


 La série des "Otages", en tout cas, m'en disait plus qu'une illustration de ce qu'avait éprouvé Fautrier devant cet évènement de la fusillade des résistants. Elle me disait obscurément quelque chose de plus qui avait dû résonner en lui, précédent l'événement présent.


lac bleu, 1926
La façon dont mon attention a été retenue par cette répétition non travaillée m'évoque ce que nous relevons parfois dans des séances de psychanalyse, un ton, une formule figée qui revient, des évitements récurrents dans la parole de ceux que nous écoutons et qui invitent à ouvrir l'oreille à ce qui se manifeste ainsi. 


J'ai livré mes petites trouvailles sur le blog comme on jette une bouteille à la mer, en regrettant mon peu d'éléments pour avancer un peu plus, comme cela aurait été possible, par exemple, avec la correspondance de Fautrier.


Dès le lendemain de la publication de l'article, je recevais en retour une émouvante confirmation de mes hypothèses. Jacqueline, dernière compagne de Fautrier, trouva le moyen de me contacter et me fit part de ses remerciements chaleureux pour avoir écrit "des choses que personne n'avait écrites sur lui", concernant notamment l'impact de son expérience de la guerre de 14 sur la série des "Otages", liée officiellement à la guerre de 40.


Forêt. Les Marronniers, 1943
Je raconte cette histoire pour souligner  combien nos intuitions, face à une oeuvre qui nous touche particulièrement, peuvent être explorées comme des pistes sûres de travail. Pistes ouvertes par l'émotion mais aussi l'observation, la confrontation, le sens critique et surtout, pour moi, l'expérience psychanalytique.


Sans doute conduisent-elles parfois à des découvertes ne concernant que notre histoire personnelle et notre propre vie psychique. Mais il arrive aussi qu'elles soient le fruit d'une rencontre qui fait surgir quelque chose de l'ordre d'une vérité, partageable et reconnaissable par d'autres. C'est le plus souvent indécidable immédiatement, mais parfois confirmé après-coup.


Dans cette petite aventure, la mobilisation de ma sensibilité, de mon intimité, même,  m'a permis une rencontre singulière avec certains aspects de l'oeuvre de Fautrier, et du coup aussi avec la sensibilité d'une femme qui partageait son intimité. Il me semble qu'il y a dans ce type d'investissement et de rencontre quelque chose qui nous parle aussi des situations transférentielles analytiques, quelque chose que je cherche à écrire.
http://mondephilatelique.blog.lemonde.fr/files/2014/07/Jean-Fautrier-Timbre.jpg 

Les illustrations ci-dessus ne font  pas partie de la série des "Otages" mais viennent de tableaux du Musée d'art moderne de la ville de Paris qui consacre une salle aux oeuvres de Jean Fautrier.


Ci-contre le timbre poste édité cette année à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa mort. 

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