samedi 9 janvier 2016

Tim et ses engagements


En se rendant à l’exposition « Moïse Figures d’un prophète », on traverse la cour dans laquelle trône une sculpture représentant le capitaine Dreyfus. (Cf article précédent du blog ). Elle le montre saluant avec son sabre brisé devant lui. Intéressée par cette superposition des deux figures, celles de Moïse et du Capitaine, j'ai décidé d'en savoir plus au sujet de cette sculpture. Et j’ai découvert l’histoire dont elle est porteuse et les polémiques qui y sont associées.


Elle est l'oeuvre de Tim, sculpteur et célèbre caricaturiste ayant travaillé pour de nombreux journaux. Son nom d'origine est Louis Mitelberg. Né en Pologne en 1919, il s'est installé en 1938 en France. Il a été est mobilisé dans la seconde guerre mondiale puis fait prisonnier. Et il s'est ensuite évadé. Il est mort à Paris en 2002.


Louis MITELBERG dit TIM (1919-2002)Son oeuvre de caricaturiste  est prolifique et engagée. Et on en retrouve la verve dans ses sculptures, comme dans celle de "Daumier créant Ratapoil" installée à l’Assemblée Nationale dans le cadre d'un bel hommage rendu après sa mort. Tim considérait Daumier comme son maître. Tous deux incarnent particulièrement la force et l'engagement des caricaturistes. Force qui en l'année qui vient de s'écouler nous a frappés de plein fouet!


Mais plusieurs sculptures de Tim marquent un autre aspect de ses engagements,  liés ceux-là à ses origines juives. C'est ainsi que le sculpteur a réalisé en 1993 un saisissant groupe pour le cimetière du Père Lachaise à Paris: “Monument aux déportés d’Auschwitz III”.



Commandée par Jack Lang en 1985, la sculpture du Capitaine Dreyfus, quant à elle, aurait dû être installée dans la cour de l’Ecole militaire, comme le sculpteur l’avait demandé, c'est à dire là où le Capitaine avait été dégradé en 1895 puis réhabilité en 1906. (Petit rappel: Dreyfus fut accusé à tort de trahison pour avoir livré des documents français à l’empire allemand sur fond d’espionnage et d’antisémitisme).


Mais l’Armée s’opposa à cet emplacement ainsi que le ministre de la défense de l’époque, Charles Hernu, et que François Mitterrand. Inaugurée et installée d’abord au jardin des Tuileries, la statue est installée depuis 1994 place Pierre Lafue à Paris, à la hauteur de la station de métro « Notre-Dame des champs ». Emplacement sans portée symbolique et qui ressemble plutôt à une mise à l'écart... Entre temps, les tentatives pour que la statue intègre l'Ecole militaire ont échoué.


Un article de Jean-Dominique Merchet publié dans le journal Libération du 12 Juillet 2006 en rend bien compte. Cela laisse à penser que les séquelles de cette "affaire Dreyfus", qui avait valu à Emile Zola d'écrire son célèbre "J'accuse", sont restées bien vives. Pour approfondir, on peut se reporter à un ouvrage collectif publié aux Presses universitaires de Rennes en 1995 et mis en ligne en 2015: "L'affaire Dreyfus et l'opinion publique" sous la direction de Michel Denis, Michel Lagrée et Jean-Yves Veillard.


La statue présente dans la cour du MAHJ est une copie de l'original en résine. Ici la portée symbolique de l'emplacement a toute sa force, à cause de l'histoire de l'antisémitisme, mais le silence de "La grande muette" reste assourdissant par ailleurs...



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