jeudi 12 décembre 2013

De Gilgamesh à Sindbad le marin


Le thème du regard en arrière est le fil rouge de l'écriture de ce livre. Il ne renvoie pas seulement à ce regard derrière soi, sur le passé, sur l'enfance ou sur l'Histoire, que sollicite l'expérience psychanalytique. Il renvoie encore à ce motif de l'interdiction de se retourner en arrière, largement développé dans les contes et les mythes, jusqu'à l'interdit de se retourner sur les morts ou de chercher à descendre aux Enfers en tant que vivant. 

Le travail de l'analyse amène à porter un regard particulier sur cette thématique, notamment à travers  les expériences temporelles psychiques que le processus analytique peut faire résonner, voire rejouer, chez les analysants et chez les analystes. Dans ces expériences, la mémoire peut être celle du futur, le présent se couper du temps, le passé se présenter comme non encore éprouvé ni encore inscrit psychiquement.  
 
 
Si les grands récits reviennent fréquemment sur cet interdit, c'est dans le mouvement-même d'un désir de se retourner, apparemment incorrigible, au point d'être toujours transgressé... Ce fil rouge se trouve tissé en séance d'analyse tout à fait singulièrement avec l'histoire de chacun tout en croisant parfois les trames de la grande Histoire, notamment, dans Rue Freud , celle qui relie la France et l'Algérie.
 
 
Les personnages rencontrés symboliquement dans ce livre font partie d'un patrimoine culturel partagé: Gilgamesh, la femme de Loth,  Sindbad le marin, parfois convoqués par des analysants en séance ou associés par l'analyste à ce qu'il entend d'eux. Ils sont accompagnés, dans l'écriture de Rue Freud , de penseurs et de créateurs comme Platon ou Rodin, venus nourrir le travail sur le transfert.

 C'est ainsi que cet homme qui tombe, photographié récemment au Musée Rodin, me rappelle singulièrement le mouvement de retournement en arrière donné par Rodin à sa femme de Loth, évoqué dans mon livre. Mais ici cette étude de Rodin pour la porte de l'Enfer vient rejoindre dans ma mémoire "l'homme qui chancelle" de Giacometti. Lui-même s'était souvenu de "L'homme qui marche" de Rodin pour ses marcheurs de vent... Dressé, le marcheur de Rodin, mais hommes volants, les marcheurs de Giacometti...


Tomber à la renverse... la chute en contrepoint du travail de la marche... Les torsions de l'immaitrisable qui apprennent à marcher et à regarder autrement autour de soi... Un mouvement contraire à celui de la pétrification de la femme de Loth? Pourtant Rodin lui a donné tous ces mouvements à la fois dans son aquarelle de "La femme de Loth".


L'expérience transférentielle analytique se présente ainsi dans sa dimension polyphonique à travers toutes ces références culturelles et historiques partagées, ou que l'analyste se doit de faire siennes si elles lui sont d'abord étrangères. Le travail de l'écriture offre alors ses voix pour de nouvelles résonances à transmettre et à partager sous d'autres formes et dans d'autres cadres, publics, ceux-là.  


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