mardi 8 avril 2014

Inscrire dans la pierre ce qui ne s'oubliera pas.

Le poids de l'arrière avec ses relents infernaux a maille à partir avec l'inconscient. Braver l'interdit, qu'il soit biblique ou parental, voire métaphoriquement politique, ne va pas sans un certain prix à payer, parfois très lourd pour les survivants et les héritiers des catastrophes multiples auxquelles s'exposent les humains.
 
L'audace d'Anna Akhmatova répond à celle de la femme de Loth, celle-là même que Kurt Vonnegut, de son côté, aime pour s'être retournée (Cf article du blog intitulé "La femme de Loth en guerre").
Son poème "La femme de Loth" date de 1922-24. Des années plus tard, Anna Akhmatova ayant connu, comme tous, la censure, le totalitarisme, la nécessité de tromper les tueurs avec ses poèmes, la perte progressive des siens, artistes, poètes, amants, perd finalement son fils:
 
 
Verdict


Le mot est tombé comme une pierre
Sur mon cœur qui vit encore.
Rien à dire. J'étais prête,
Il faut bien vivre avec ça.

J'ai beaucoup à faire aujourd'hui;
Il faut tuer toute la mémoire.
Il faut que l'âme devienne pierre,
Il faut apprendre à vivre encore.

Mais non...Il fait chaud, l'été murmure,
C'est comme une fête, là, dehors.
Il y a longtemps que j'y pensais,
A ce jour clair, à cette maison vide.


Eté 1939
Recueil "Requiem" Traduction Jean-Louis Backès (Poésie/Gallimard)

 
 
 
Sa femme de Loth apparait après-coup comme un éclaireur de cette période de vie pour Akhmatova et pour la Russie, exposant aux séparations, à la tyrannie, au silence, aux guerres, aux morts multiples. Ses poèmes se chargent peu à peu de la métaphore de la pierre...comme en écho à la pétrification saline de la femme de Loth.

Le poème qui suit "Le verdict" s'intitule "Je parle à la mort". Dans les poèmes de 39-40, faisant partie du recueil Requiem, la souffrance se fait pierre, en effet. Et avec Crucifixion c'est le bien-aimé lui-même qui est devenu pierre.

Batailler avec l'oubli et la perte de mémoire...  Continuer de créer et de confier ses poèmes en les disant seulement, en les cachant. "Tuer la mémoire"... mais "Il fait chaud, l'été murmure".

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