mardi 29 avril 2014

Sur le quai de l'infantile, encore

 
 
En ce week-end de Pâques 2014, quai d'Alger et quai du Maroc, à Sète, les grands paquebots ont laissé la place aux voiliers en «Escale à Sète». Eux aussi se mesurent à la hauteur de la tour. Cependant c'est plus loin sur les quais qu'une nouvelle découverte m'a rappelée à l'écriture de Rue Freud et au "quai de l'infantile". Il s'agit des expositions actuelles du Centre régional d'art contemporain.


Dans cette superbe architecture intérieure, elles invitent d'abord aux retrouvailles des constructions de l'enfance, avec les oeuvres de Jacques Julien. Celles-ci semblent jouer avec les matières et les objets pour articuler l'hétérogène dans de nouvelles formes.
 
 
Mais au premier étage, stupeur pour la visiteuse que je suis! L'architecture elle-même de cet espace s'impose différemment, sans que je saisisse d'abord pourquoi. Je suis happée par le mur de gauche: il étire sa surface le long d'une longue bande noire aux reflets un peu gris, laissant affleurer des transparences en blanc. D'abord immobile, je sens l'appel de cette surface: elle m'attire au bout de sa ligne de fuite, à l'infini. Je repense alors aux lignes de fuite d'Anselm Kiefer dans ses oeuvres sur la femme de Loth, sur Siegfried et Bruhnhilde et d'autres (cf l'article précédent de ce blog).


 
 
 

Il y a quelque chose de vertigineux dans cet appel. Je me risque à bouger, à marcher lentement, le long du mur, le long de cette route vers l'infini. Je ne voudrais pas que cela passe trop vite...Je contrôle mon allure mais vient alors un autre appel, celui du retournement. Non plus appel de l'infini mais plaisir du jeu avec les origines: j'étais là-bas, je viens de là-bas, je pourrais revenir mais je continue de partir... J'avance en regardant derrière moi, sans me retourner tout à fait, un peu comme ces personnages de l'Enfer de Dante... mais pour rire, aux confins de l'angoisse...Cependant je sais que je reviendrai. Tout est possible ici avec l'art. La réversibilité de l'impossible... Quelque chose que Bill Viola aussi nous donne à éprouver. (J'y reviendrai ici dans un prochain article).
 
 
Pour l'instant je continue de longer cette bande lumineuse. Oui, elle était noire, «moirée», me souffle mon lapsus. Mais elle s'est insensiblement muée en blanc. Je ne sais comment c'est arrivé. Elle irradie maintenant de lumière. Alors seulement, je me retourne tout à fait sur son commencement. Me voici projetée à nouveau dans l'infini, celui du point d'horizon de la ligne de fuite. Le commencement est devenu un point d'aboutissement. De ma place mouvante, avec mon regard mobile, j'inverse à volonté le début et la fin des choses. Ils se muent l'un dans l'autre. Réversibilité jubilatoire...

 
 
 
Il y a pourtant un point d'arrêt: la source supposée de cette lumière, c'est à dire des phares de moto. Elle est bien représentée, elle aussi, mais comme en creux, un creux de lumière en forme de moto. Le procédé technique du photogramme explique cela. Je n'avais pas voulu en entendre parler avant d'avoir découvert  l'oeuvre. Je ne l'apprendrai qu'après-coup, en échangeant avec l'une des personnes accueillant les visiteurs et avec un film projeté sur les artistes exposés.
 

 
 

A ce point d'arrivée, je choisis plutôt de revenir en arrière, je n'en ai d'ailleurs pas le choix, l'espace se clôt là. Mais il ne m'arrête pas. Ce n'est pas lui qui gouverne mes pas. C'est l'oeuvre. Mue par elle, je choisis de refaire le parcours à l'envers, de réinverser le début et la fin, de jouer à la toute-puissance sur la vie et la mort, à laquelle m'a invitée, nous invite, l'artiste, Guillaume Leingre.

 
Et puis, ne pas oublier Bruhnhilde, comme Siegfried... Il n'y avait pas que cette superbe piste moirée pour se jouer du temps et de l'espace... Il y avait aussi ces petites lumières rouges, si rouges et si petites devant cet infini, et pourtant si présentes, si souriantes... Clin d'oeil, peut-être, du Petit Chaperon rouge...
 
 
   


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