lundi 7 décembre 2015

Profondeurs de temps, avec Jeff Koons, Pierre Soulages et Gerhardt Richter


Transparences, superpositions, accumulations: une succession de termes pour une série de formes données au temps et à l'espace par les artistes. Dans l'exposition "Picassomania", le parti est pris de faire apparaitre l'héritage des successeurs de Picasso. Une place importante y est donnée, entre autres, aux Demoiselles d'Avignon et le collage de Jeff Koons, reproduit ci-joint, s'y réfère, comme d'autres oeuvres présentées dans l'exposition.


Le cartel qui l'accompagne parle de "décomposition de ce que Picasso avait assemblé". Pourtant cette oeuvre compose, recompose même un ensemble, en accumulant de nombreuses références artistiques, liées à l'Antiquité romaine, à l'art de la Nouvelle Guinée, au Titien  et à Picasso lui-même. Difficile de les retrouver si l'on n'est pas connaisseur et surtout si l'on n'a pas le désir ou la patience de déchiffrer ce qui se dit dans ce tableau. C'est surtout la pensée qui est sollicitée chez le regardeur, la mémoire aussi, si la curiosité est là. Et puis l'oeuvre fait éventuellement son chemin avec le temps du regardeur, avec les rebonds de ses associations et les surprises de ce que le temps de la réceptivité peut façonner en lui.


Dans mon cas, ce collage m'est revenu à l'esprit au Musée Soulages à Rodez, devant les superpositions des fonds de certaines des oeuvres de l'artiste. Superpositions dans l'espace alors que tout est pourtant montré sur un seul plan. Profondeur de champ, comme on dit en matière cinématographique, qui attire le regardeur dans un labyrinthe où le fonds se dérobe alors que la toile offre une structure très solidement élaborée. Le mouvement du regard vers les fonds est fermement accompagné par cette structure, comme l'exploration audacieuse de la vie par un enfant est rendue possible grâce à la présence certaine du parent à ses côtés.  Ici l'espace-temps se transforme en lumière, en réflexion lumineuse.


Mais il faut accepter le temps de l'exploration, de l'incertitude, du désagrément, voire de la peur. Il faut accepter la non-évidence des choses, telle que notre perception nous les livre. J'ai revu alors dans ma mémoire les glissements étirés des tableaux de Gerhardt Richter, faisant miroiter des transparences sidérantes à travers ses lignes de couleurs. Dans ces oeuvres, aucune référence explicite  à du connu, du reconnaissable, de l'historique, pas plus qu'avec celles de Soulages.


Superposer, chercher des transparences, ne procèdent pas du tout de la même démarche que celle qui consiste à accumuler des motifs et des références identifiables, organisées sur le même plan. Pourtant toutes ces dynamiques créatives créent un rapport au temps à vivre dans l'espace; espace créé sur la toile ou le support du tableau; espace de l'oeuvre elle-même, parfois étiré à la mesure d'un mur, comme chez Richter; espace de l'architecture du musée, dans le cas de Soulages. Les tableaux y sont pris dans le travail avec les murs et les séparations, tableaux-murs eux-mêmes qui jouent avec l'espace des salles.



On peut y appréhender la profondeur de l'Histoire,  me semble-t-il, même abstraitement. L'explicite des références du collage de Jeff Koons joue avec le connu de l'Histoire. Mais quand Anselm Kiefer, quant à lui, se réfère à l'Histoire, il invite à un autre type de superpositions, de profondeur des fonds, notamment avec les titres de ses tableaux associés de façon étrange à ce qui est représenté. Il faut accepter les chocs des références, comme ceux que j'avais évoqués dans ses oeuvres en relation avec la femme de Loth (cf les articles d'avril 2014 de ce blog: "L'oubli en un clin d'oeil" et "Sur le quai de l'infantile, encore". Tout ce travail résonne avec le temps psychique, un travail pour intégrer la dimension mortelle de l'être humain pris dans la succession des générations et devant se placer dans un monde aux fondements indiscernables et aux futurs possibles déjà opérants. Des expositions Anselm Kiefer sont en cours à Paris. J'y reviendrai.

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